Naissance de June 9 janvier 2023
J’avais pourtant dit que l’on ne m’y reprendrait pas après la naissance de Gary ! Et puis, les mois et les années ont passé et mon envie de vivre une troisième maternité a commencé à pousser en moi, presque malgré moi. S’en sont suivies de longues discussions avec Thomas, pesant le pour et le contre. Je me suis souvent dit que faire un troisième enfant, c’était une vraie décision. Parce qu’il n’est pas « nécessaire » pour correspondre aux attentes de la société et parce qu’il n’y a plus la naïveté des premiers où on se dit « pour nous ce sera facile ! ». Un vrai choix donc ! Je me souviens clairement qu’un soir, on rigolait avec Noa et Gary, c’était joyeux et tellement doux. Thomas m’a regardé, presque ému, et on s’est dit tous les deux qu’on était prêts à ajouter de la vie dans notre famille.
Un petit pois est rapidement venu se loger en moi et m’a offert ce qui a été ma plus belle grossesse. Tout a été si facile, si fluide et si doux ! Après les premières semaines dans le brouillard, j’ai vite ressenti cette puissance de vie qui ne m’a pas quittée. J’ai aimé vivre cette grossesse avec un mélange de détachement – il y avait tant à faire ! – et une sensation constante de gratitude pour ce que je vivais. Qu’il est bon de porter la vie !
Les mois ont défilé à folle allure et j’ai vu arriver la fin de la grossesse beaucoup plus vite que je n’aurais aimé. Mais une fois de plus, constater à quel point les choses sont bien faites : l’envie progressive de s’éloigner du réel, le besoin de se concentrer sur les sensations, la nécessité de préparer l’arrivée du bébé qui s’impose subitement… Avec Thomas, on a passé beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont on voulait accueillir ce bébé et vivre ses premiers mois de vie. Forte de mes expériences précédentes, j’ai tout de suite eu l’intuition qu’il fallait mettre de l’énergie à préparer la période postnatale, presque plus que la naissance finalement. Je mesure aujourd’hui à quel point c’était, dans notre cas, la meilleure idée qu’on ait pu avoir.
Les dernières semaines ont été marquées par une collection de jolis moments : une journée entre amies précieuses, un massage prénatal divin, ma routine quotidienne de yoga salvatrice, de belles balades, des moments de connexion intense avec mon bébé, la joie de retrouver presque par hasard le chemin de l’enseignement de Martine Texier, la rencontre avec Clara, sage-femme de la Maison de naissance, et nos échanges qui m’ont fait le même effet que si j’avais plongé dans une piscine de chocolat ! Et surtout, une complicité très forte avec Thomas et des milliers de moments de bonheur avec Noa et Gary.
Puis le mois de janvier est arrivé. J’étais alors aussi pleine que la lune et, même si j’exprimais fortement le besoin d’étirer ce temps au maximum, je me sentais déjà partir. Après quelques jours où la perspective de devoir donner naissance me paraissait saugrenue tant j’étais vidée de toute énergie, je me suis réveillée le samedi 7 janvier avec une vigueur toute nouvelle. J’aurais pu déplacer des montagnes ! Après une matinée délicieuse faite de yoga, méditation et bain de soleil, on a passé une après-midi délicieuse tous les quatre entre longue balade en ville, gauffres, achat du doudou de la petite sœur, raclette le soir… Il va s’en dire que le soir venu, j’étais rincée ! Je me suis couchée avec cette question qui me trottait dans la tête : quand est-ce qu’elle va arriver ? J’ai été réveillée à 5h du matin par une contraction pas comme les autres. Elle tirait si fort en bas ! Elles m’ont accompagnées toute cette fin de nuit, douloureuses mais supportables, anarchiques mais récurrentes, me laissant alors toute perdue : était-ce là le signe du début de quelque chose ou juste du fait que j’avais un peu tiré sur la corde la veille ?
La journée s’est déroulée ainsi, avec ces vagues qui venaient puis repartaient, dans l’agitation habituelle du dimanche avec deux enfants en pleine forme. Difficile pour moi de plonger dans le vortex dans ces conditions et en plus, j’avais dit « pas avant le 16 janvier !!!! ». Thomas et les enfants vont partager la galette chez les voisins et je retrouve avec joie le silence de la maison. J’appelle Aurore qui est d’astreinte à la Maison de naissance cette semaine. Je lui fais part de mon désarroi et pleure un peu au téléphone. Elle me parle d’embarcation longue et du fait que cette entrée progressive dans mon vortex me permettra d’y plonger très progressivement et moins intensément que lors de la naissance de Gary. Elle me conseille de prendre un bain avec des bougies et de m’offrir un moment de détente. Meilleur conseil du siècle, aussitôt suivi à la lettre ! L’eau m’apaise, le calme revient. Je me soule de respirations de la vague. Je me sens embarquer et j’ai l’impression de laisser partir dans l’eau tous les plans que j’avais en tête. A la sortie du bain, devant le feu, j’écris dans mon carnet « si c’est une répétition générale, tant mieux, j’en ai clairement besoin ! Si c’est « pour de vrai » alors vaille que vaille, au bout du vortex, il y a mon bébé ».
Thomas rentre avec les enfants, on partage sans le savoir notre dernier repas tous les quatre. Même si les contractions sont toujours anarchiques et que je parviens à les gérer très facilement, Noa et Gary sentent qu’il y a quelque chose de différent. Ils sont tout à coup très angoissés : Gary a « peur du bébé qui arrive » et Noa a « peur qu’il m’arrive quelque chose ». Elle voudrait que ce soit déjà fini et me demande de lui assurer qu’après celui-ci, je n’en ferai pas un quatrième ! On essaye de les apaiser autant qu’on peut, en remettant de la joie et de la banalité dans ce qui se prépare. Ils vont se coucher et s’endorment rapidement.
Avec Thomas, on installe un matelas devant le feu et on partage un doux moment enlacés. On décide d’aller se coucher puisque les choses ne semblent pas s’accélérer. Dans mon lit, je continue à pratiquer la respiration de la vague et à me faire toute molle. Je parle à mon bébé, je lui dis que cette fois, je suis prête, elle peut venir. A partir de 22h30, le moteur se met en marche. Les contractions reviennent toutes les 8/10 minutes. Elles me font l’effet d’une étreinte intense qui enserre mon bébé. C’est presque agréable quand j’arrive à me détendre ! Je me lève au bout d’un moment, ressentant le besoin de retrouver la chaleur du feu. Thomas se lève aussi et comprend que les choses se mettent en place. Il doit être 23h30. Il appelle Aurore pour lui dire que le travail commence à s’enclencher. Je l’entends lui dire que je suis calme, apaisée et ça me fait du bien. Je gère les contractions avec la respiration de la vague en me berçant sur le ballon. L’intensité monte d’un cran mais reste tout à fait supportable. Je me concentre sur les pauses et wahou, elles sont si bonnes ! Je continue à rester toute molle, à visualiser mon col qui s’ouvre. J’alterne entre une contraction forte et longue et une autre plus douce et plus courte. Je me souviens que la douleur est une amie, une messagère qui nous indique là où il faut ouvrir et se détendre encore davantage. Pendant ce temps, Thomas s’active pour préparer les affaires et prévenir ma maman et les voisins qu’on va avoir besoin d’eux pour garder les enfants. Je trouve ça long et j’aimerais l’avoir avec moi. Vers 00h15, Thomas sent qu’il est temps de se mettre en route. Les contractions se rapprochent et je commence à produire des sons J’ai terriblement chaud pendant les contractions et terriblement froid entre chacune d’entre elles. Il rappelle tout le monde alors que je suis en train de partir loin dans le vortex. Les sons accompagnent tant les contractions que les pauses. J’appréhende un peu le trajet et grimpe tant bien que mal sur la banquette arrière. Finalement, les contractions se calment pendant le trajet et je savoure presque la douceur de ce voyage nocturne, bercée par la voiture et la tranquillité de la nuit.
Thomas se gare devant la Clinique mutualiste et je bondis hors de la voiture. Une contraction m’attrape au pied des marches et je me souviens m’être dit « au même endroit que pour Gary ». Je la laisse passer et reprend mon ascension le plus rapidement possible. Pas le temps pour l’ascenseur ! On arrive à la Maison de naissance plongée dans une douce pénombre, accueillis par le visage calme d’Aurore qui est en train de tout préparer. Il est 00h50. J’entends la baignoire se remplir. Quand je vois Aurore, je crois que je lui dis quelque chose du genre « je ne vais jamais y arriver » mais ce que je pense surtout, c’est « on y est ! ». Ça me donne envie de pleurer de soulagement !
La pièce me paraît grande et je ne sais pas trop où me mettre. Je grimpe sur le lit et les contractions reprennent de plus belle. Les sons continuent à m’accompagner. Je pense au « om » de Martine et essaye de me concentrer dessus. J’ai soudainement envie de vomir. Après m’être vidée toute l’après-midi aux toilettes, je sais que c’est le signe que les choses avancent vite ! Je suis complètement dans ma bulle et j’ai du mal à intégrer Thomas. Je me souviens m’être mise à tournoyer sur moi-même, suivant une spirale imaginaire, parlant à mon bébé « viens, viens... ». Thomas me masse le bas du dos, parfois ça me soulage et parfois, ça m’est insupportable. Lors d’une contraction, je me dis « oh je l’ai bien gérée celle-ci » et aussitôt je me dis que si je pense ça, c’est probablement le signe que je ne suis pas encore loin dans le vortex.
Puis l’intensité monte encore et me dépasse. Je me mets sur le tapis, accrochée à un ballon. J’ai du mal à gérer cette douleur qui me fragmente en mille morceaux. Je dis à nouveau que je ne vais pas y arriver, que c’est trop. Aurore écoute le coeur du bébé et me dit que tout va bien. Soudain, je sens que les choses changent à l’intérieur de moi. Ça pousse vers le bas et je crois sentir un liquide couler dans ma culotte. Aurore me dit que c’est sûrement la poche des eaux qui s’est rompue. Je la trouve bien sûre d’elle, ne pensant pas en être à ce stade. Elle me dit que le bain est prêt si je le souhaite. J’hésite. Je pensais garder cette option pour la fin du travail quand l’intensité ne serait plus gérable et bizarrement, je n’arrive pas à identifier que je suis en train de gravir les dernières marches de mon sommet. L’appel de l’eau est plus fort et j’entre dans le bain. L’eau est chaude et je sens immédiatement quelque chose se relâcher à l’intérieur de moi. Thomas s’installe derrière moi et continue à me masser le bas du dos.
Immédiatement, je sens une furieuse envie de pousser. C’est plus fort que moi. Je bascule sur le côté dans une position improbable qui s’impose à moi et je m’accroche au bras d’Aurore. Je me mets à crier tout ce que je peux. Je sens mon bébé progresser très vite. Il faut pousser, coûte que coûte. Soudain, ça brûle très fort et je reconnais cette sensation entre mille. Je sens la tête sortir et Aurore m’invite à la toucher. Je pose ma main sur ce petit crâne chevelu et je dis « elle est là » ! Thomas n’en revient pas. Il continue à m’encourager. Je sens qu’elle finit sa rotation, je pousse à nouveau, les épaules viennent et enfin tout son petit corps. Cette sensation du bébé qui sort, elle aussi, reconnaissable entre mille ! On voit ce petit bébé flotter dans l’eau, remonter à la surface et je tends mes bras pour l’accueillir. Je la pose contre moi et elle pousse juste un tout petit cri. Il est 1h15 et June est née. Je regarde Thomas, on n’en revient pas : on l’a fait ! Je me sens merveilleusement bien. On quitte le bain au bout d’un moment et l’image de nous en train de sortir de la baignoire, la serviette qui tombe, le cordon entre mes jambes toujours relié au bébé glissant et mouillé me fait sourire. On s’installe dans le lit et Aurore nous laisse tous les trois savourer ce bonheur intense. On pleure de joie. Je me sens pleine d’amour, tellement reconnaissante d’avoir pu vivre CETTE naissance. L’odeur de ma fille et sa peau si douce me bouleversent. Je regarde Thomas et c’est comme si je retombais en amour.
Les contractions reprennent rapidement et en une poussée le placenta sort. Je n’ai aucune peur et suis parfaitement confiante. Aurore me confirme que le placenta est entier et le pose à côté de moi. Pendant ce temps, June se met à chercher le sein. Je lui laisse la possibilité de le trouver toute seule et c’est fascinant de voir l’énergie qu’elle déploie pour le trouver. Enfin, elle le prend en bouche et après plusieurs tentatives, se met à téter. Je suis scotchée, elle sait téter !
Une nouvelle histoire commence et je n’aurais pu rêver un plus beau démarrage, conjuguant douceur et puissance à la perfection. Un lundi, jour de la lune, comme Noa et Gary.
Eybens, le 16 janvier 2023