Une naissance naturelle après une première césarienne
Le terme prévu pour la naissance de notre bébé était le 31 mars. Comme il a été conçu un jour de nouvelle lune, j’avais bon espoir qu’il ou elle naisse pour la nouvelle lune de mars, le 22. Même si je sentais que mon corps et mon bébé se préparaient, rien ne se passa le 22. Étonnement, plus on se rapprochait de la date, mieux je dormais. J’ai beaucoup marché ces derniers jours, joué de mes instruments (les bols, la shruti box et un tambour que l’on m’a prêté), chanté. J’appelais mon bébé car j’arrivais au bout de ma patience. En même temps j’allais bien, j’étais reposée et sereine. J’ai fait quotidiennement les exercices d’ouverture du bassin, le débout-accroupi avec respiration de la vague et intention d’ouverture vers le bas.
C’est le jeudi 30 mars au petit matin que je ressens quelques premières fortes contractions, qui m’obligent à sortir du lit. En allant aux toilettes, je remarque des petites traces de sang. J’appelle à la mat et on me dit que c’est normal, de patienter. J’écris à ma maman, elle peut se mettre en route (elle a 6h de route pour arriver chez nous et s’occuper d’Iris et de la maison). J’écris également à ma Doula, Aurélie, qui arrive vers 9h. J’ai quelques contractions très gérables et espacées, voire parfois très espacées. Après avoir reçu un massage de la part d’Aurélie, je me repose et elle se sent libre de partir. Tout avait l’air de s’être calmé. Ma mère arrive en début de soirée. Avec Julien nous allons au lit pour bien nous reposer. C’est bien dans le lit que les vraies premières contractions commencent de façon plus fréquente. Je m’aide de toutes les “techniques” et “méthodes” que j’ai apprises surtout par rapport à la maîtrise du souffle. C’est bien sûr très gérable à ce stade. La poche des eaux se perce assez rapidement, vers minuit et demie, et le liquide est aussi teinté de rose. On appelle la maternité et on nous dit d’aller faire les vérifications nécessaires.
A ce stade, tout se produit à peu près comme la naissance d’Iris et certaines images un peu “noires” commencent donc à se présenter à moi, mais je décide avec moi-même de ne pas me laisser polluer par le passé, c’est une nouvelle naissance donc une nouvelle histoire que nous devons vivre. Je craignais surtout qu’en arrivant à l'hôpital, comme pour la naissance d’Iris, les contractions s’arrêtent par manque de confiance dans les lieux et les personnes.
Mais le travail que j’ai fait pendant toute la grossesse a payé : les contractions continuent, certes de façon espacée et pas très intense, mais elles sont là.
Après 1h de monitoring, et un prélèvement pour confirmer la rupture de la poche, on nous transfère en salle de pré-travail vers 3h. J’installe mon petit autel fait de pierres, malas et dessins, on allume une lumière douce et on met des huiles essentielles : on essaye de tout faire pour favoriser la production d’ocytocine. On arrive à se reposer entre chaque contraction, car elles sont vraiment encore assez espacées et pas très intenses.
Au vu de mon précédent d’infection placentaire pour la naissance d’Iris, on me met sous antibios plus tôt que ce que voudrait le protocole. Entre ça, les monitorings toutes les 3h, les repas, l’injonction à aller marcher, ça a été très difficile pour moi de rentrer dans ma bulle. Donc la fréquence et l’intensité des contractions restent les mêmes pendant plusieurs heures.
A midi ma maman arrive et donne le relais à Julien. Étant thérapeute shiatsu depuis presque 40 ans, elle travaille intensément et efficacement sur les points d'acupression pendant à peu près une heure avant de rentrer.
C’est vers 17h que la fréquence des contractions descend en dessous des 10 minutes. Mais je ne suis pas encore prête à recevoir un toucher vaginal par crainte que ça me démotive de savoir que le col est pas ou peu ouvert. Je me réjouis par contre de cette accélération tant attendue, que j’ai “appelée” aussi par des visualisation d’ouverture du col, d’expansion, de lumière et de joie. Vers 18h je prends une douche et Julien va chercher quelque chose à manger.
Normalement on déclenche 24h après la rupture de la poche si le travail ne s’est pas mis en route tout seul : un peu de temps après donc, vers 20h, le gynécologue arrive pour nous parler de l’éventualité d’un déclenchement par ballonnet, nécessaire uniquement si le col ne s’est pas encore ouvert tout seul. Les contractions deviennent intenses mais j’arrive encore à les gérer, je peux encore échanger avec assez de facilité avec le personnel médical. Ils nous indiquent qu’ils repasseront une ou deux heures plus tard pour faire le point concernant le déclenchement, sans vraiment nous écouter quand on leur dit que là les contractions sont rapprochées et intenses et qu’à notre avis il n’y avait pas besoin de déclenchement.
Après le passage du gynéco, les contractions s’intensifient encore plus et ça m’est de plus en plus difficile de gérer la douleur, d’autant plus qu’il y a un autre monitoring (extrêmement difficile de rester sur place pour que les capteurs ne tombent pas) et que l'anesthésiste passe pour nous suggérer la péridurale (sachant que dans mon cas, après une première césarienne, normalement elle est posée d’office). Je commence à avoir du mal à parler, à être très fatiguée et aussi à avoir des doutes sur mes capacités à arriver au bout. Sans Julien qui reste sur nos positions concernant l’anesthésie, j’aurais peut-être cédé à la proposition du médecin.
Vers 22h, on vient nous appeler pour aller poser le ballonnet, alors qu’à aucun moment on n’a donné notre consentement définitif. On leur demande de m’examiner d’abord pour être sûr que cela soit nécessaire. Je suis dilatée à 3. Pas besoin de ballonnet, le travail a démarré tout seul (comme on savait déjà).
La fatigue me submerge, la douleur aussi. Tout ce que j’ai appris et mis en place pendant la grossesse ne marche plus. Je commence à subir plus qu’à agir. Je vocalise très fort, je commence à me sentir plus animal qu’humain. Je continue d’appeler mon bébé, de me dire de m’ouvrir à la vie, que je fais confiance à la Vie pour mettre au monde ce bébé, je me rémemore des paroles de Karine, cette sage femme très connue dans le monde de la naissance physiologique : “tu vas aller te fracturer, et c’est une bonne chose”. Je me rappelle des enseignements de Martine concernant les changements des états de conscience de l’accouchement, de la peur que l’on ressent quand on commence à toucher plus grand que nous, qui n’est que notre bébé qui arrive... Mais tout cela est moins puissant que la douleur et la fatigue que je ressens. Je suis découragée, je commence à dire à Julien que je ne vais pas y arriver, j’ai besoin de l’anesthésie. Il continue de m’encourager et me dire que j’y arriverai, que ça va le faire... Moi, je n’y crois plus. C’est la phase de désespérance. Elle arrive comme ça, vite, d’un coup et cela paraît tellement tôt que je ne la reconnais pas. Je pense que je suis seulement au début, c’est impossible que ce soit ça, c’est juste que je n’y arrive pas, c’est tout. En fait, c’est juste que tout c’est accéléré d’un coup, mais personne n’est en mesure de me l’expliquer.
Fanny, la sage-femme qui nous suit depuis 19h, arrive. Un deuxième (ou troisième, on ne sait plus) toucher et le verdict arrive : je suis dilatée à 5 cm. Elle se félicite : j’ai fait la moitié du chemin, maintenant ça va avancer à raison d’un centimètre par heure. A l’entendre, c’est super. On va en salle de travail. Je commence pour ma part à perdre mes moyens : cela veut dire encore au moins 5h d’efforts pour lesquels j’ai de moins en moins d’énergie à dépenser. En plus, Fanny veut que je me rapproche de la table pour poser le monitoring. Mais moi je suis ailleurs, cette lumière-là même si pas très forte, elle l’est trop pour moi. J’ai besoin de me mettre à l’abri dans un coin sombre mais cela n’est pas possible. Julien comprend aussi que je ne pourrai pas tenir et se donne encore quelques contractions avant d’appeler l’anesthésiste.
Je me retrouve quelques instants seule dans la salle de travail. Une nouvelle contraction me traverse, elle est différente des autres mais tout aussi déchirante. Je ne me rends pas compte tout de suite mais j’ai envie de pousser. Cette envie de me mettre à l’abri a une explication. Je commence à perdre du liquide et du sang. Je touche ma vulve, elle est très enflée. Je me dis : le bébé est là. J’appelle Julien et Fanny en leur disant : “j’ai envie de pousser, le bébé est là!”. Apparemment ils échangent un regard sceptique et plein de compassion : la pauvre, elle délire, on a vérifié il y a 10 minutes, elle est à 5, le bébé ne peut pas être là.
Fanny vérifie : je suis effectivement à dilatation complète. Le bébé n’est pas encore descendu dans le bassin mais la dilatation s’est faite en 3 contractions et j’ai envie de pousser. Fanny me laisse pousser comme je le sens pendant plus d’une heure (contrairement aux 30 minutes du protocole) mais elle se voit contrainte d’appeler le gynécologue. Mes poussées sont inefficaces et le bébé ne descend pas. Le risque que la cicatrice dans l’utérus se déchire augmente significativement, bébé commence à fatiguer. Et moi aussi. En toute honnêteté, je suis soulagée de voir l’équipe arriver. Vraiment je suis au bout de mes forces, je ne suis plus connectée ni à mon corps ni à mon bébé, je me sens dépassée. Je remercie profondément toutes ces personnes qui sont là pour moi et mon bébé, je me sens entourée et protégée, soutenue.
En position gynécologique, on tente de me faire pousser avec la respiration bloquée. Cela ne marche pas. Le docteur m’explique qu’il doit prendre la ventouse. J’accepte. En trois poussées mon bébé sort enfin, à 2h21 du 1er avril 2023.
Julien a besoin de me dire : “il est là Ale, bébé est là!” Je suis exténuée, un peu triste pour cette fin où j’ai perdu mes moyens. Je prends dans mes bras ce bébé tant désiré, tant aimé déjà. Je le remercie infiniment aussi d’être né à sa façon. Je m’excuse pour avoir un peu lâché l’affaire sur la fin, j’aurais aimé faire mieux mais je n’ai pas pu.
Quelqu’un nous demande si c’est un garçon ou une fille : c’est vrai qu’on n’a pas pensé tout de suite à demander. C’est une fille, la deuxième magnifique fleur de notre jardin. Son prénom arrivera le lendemain : c’est Flora.
Je suis heureuse d’avoir eu cet accouchement après la césarienne d’Iris. Je suis pleine de gratitude pour le soutien de mon mari, ma mère, ma Doula mais aussi tout le personnel qui nous a suivi depuis notre arrivée à l'hôpital. Nous avons rencontré des personnes vraiment super.
Je ne peux pas ne pas être un peu déçue avec moi-même pour comment ça s’est terminé, même si vraiment j’étais heureuse et soulagée d’avoir eu l’aide de l’équipe médicale. J'ai été aussi vraiment surprise par la difficulté que j’ai rencontrée à faire face à la douleur. Je pensais être bien préparée et j’étais donc déçue aussi après coup de ne pas avoir réussi à maintenir le cap. En même temps, malgré la bonne volonté de l’équipe médicale de respecter notre projet de naissance et de réduire donc leur présence au minimum, je me suis sentie trop souvent dérangée, pour qu’on me pose des questions, que l’on fasse un monitoring ou autre. Trop difficile pour moi de rester dans ma bulle et favoriser l’avancement du travail. Forcément j’étais épuisée au moment où il fallait tout donner.
Sans revenir sur les considérations autour de l’équipe médicale, je reste convaincue aussi que les choses se seraient passées différemment si le personnel soignant avait été formé à l’accouchement physio, car ils auraient été plus dans l’observation de mon comportement et dans un accompagnement plus adapté qui probablement, je crois, aurait diminué le temps de pré-travail et favorisé une expulsion naturelle. Quelqu’un d’expert en accouchement physio, aurait vu les signes de désespérance,aurait su qu’un travail naturel pouvait aller extrêmement vite tout d’un coup, aurait reconnu la fin qui s’approchait quand je cherchais un lieu protégé pour mettre au monde mon enfant.
Toutes ces considérations restent marginales vis-à-vis de l’exploit incroyable de mettre au monde un bébé. Cela m’a pris du temps à réaliser et ce qui m’a convaincue de cette force que j’ai eue, c’est que le gyneco qui a aidé à la sortie de Flora m’a répété à plusieurs reprises l’exceptionnalité d’un accouchement par voie basse sans péri après une première césarienne. Ma déception initiale se transforme petit à petit en fierté et acceptation. Toucher à cette puissance et cette animalité a été vraiment beau. Observer que, si on n’est pas trop dérangé, on peut se fier à son instinct, on peut faire équipe avec son compagnon et son bébé. Et après coup, voir la puissance du corps, cette ouverture extraordinaire qui peut se faire en si peu de temps. Remarquer que si on arrive à sortir du mental, des projections, des calculs, les choses se font vraiment toutes seules. Quelle révélation pour une personne comme moi, très mentale et très dans le contrôle. Comme disait Martine lors de notre dernière rencontre, expérimenter le “tout est possible”, sous toutes ses formes, au delà des règles, des protocoles, et des attentes, accueillir ce que la Vie nous offre jusqu’au bout, et enfin serrer son bébé dans les bras.
Merci à Martine pour tout ce qu’elle partage avec honnêteté, générosité et passion. C’est aussi grâce au parcours de 9 mois qu’on a eu ensemble que cette naissance a pu avoir lieu comme je l’avais espéré et préparé.